La mise en œuvre du dispositif FRTB (Fundamental Review of the Trading Book) est repoussée d’un an supplémentaire par la Banque centrale européenne. Son entrée en vigueur est désormais prévue pour janvier 2027. Ce report, qui concerne à la fois l'approche standardisée (ASA - Alternative Standardised Approach) et l'approche des modèles internes (AIMA - Alternative Internal Model Approach), était largement attendu par les banques européennes. Les États-Unis et le Royaume-Uni ayant déjà confirmé qu'ils n'appliqueraient pas les nouvelles règles avant 2027, un report en Europe était jugé nécessaire pour éviter de placer les institutions nationales dans une situation de désavantage concurrentiel. Ce sursis doit néanmoins être mis à profit pour renforcer la fiabilité du cadre FRTB, consolider les investissements engagés et reconsidérer certains choix stratégiques.
Si l’ensemble des établissements peuvent bénéficier de ce report, il constitue un levier particulièrement critique pour les rares acteurs ayant conservé l’ambition de recourir à l’AIMA. Ce dernier, considéré comme trop exigeant sur les plans opérationnel, réglementaire et technologique, a été progressivement écarté au profit de l’approche standard, perçue comme plus accessible, bien qu’elle s’avère généralement plus pénalisante en matière de consommation de capital.
À ce jour, seules trois grandes banques européennes : BNP Paribas, Deutsche Bank et Intesa Sanpaolo poursuivent encore activement leurs démarches de validation. Bien que cette approche reste marginale, elle demeure, dans sa conception, la seule véritablement capable d’aligner les exigences en capital sur le profil de risque effectif et les décisions de marché. À l’inverse, l’ASA conserve un caractère générique, aux effets souvent conservateurs.
Dès lors, plusieurs questions émergent : quelles sont les raisons de ce désintérêt croissant pour l’AIMA ? Ce report, combiné à une attitude plus conciliante des régulateurs, pourrait-il relancer l’attrait pour l’AIMA dans les années à venir ?
Obtenir l'agrément AIMA : un véritable défi
Il faut d’abord bien comprendre que, dans le cadre du FRTB, l’accès au modèle interne (AIMA) ne se fait pas au niveau global de l’établissement, mais desk par desk. Cette approche granulaire constitue un véritable défi, car chaque desk doit satisfaire à des critères d’éligibilité particulièrement exigeants et obtenir une validation spécifique de la part des autorités de supervision.
Plus préoccupant encore, l’autorisation d’utiliser l’AIMA n’a rien de définitif : elle peut être retirée à tout moment par le régulateur en cas de non-conformité aux exigences en vigueur. Une telle révocation contraindrait alors le desk concerné à repasser sous le standard ASA, avec des impacts potentiellement significatifs sur les exigences en capital et la gestion des risques. Ce cadre réglementaire, par nature instable, entretient une incertitude structurelle peu compatible avec les impératifs de planification à long terme en matière d’investissements technologiques et de ressources humaines.
Le P&L Attribution Test (PLAT) constitue l’un des critères centraux pour valider l’éligibilité d’un desk au modèle interne. Son principe, en apparence simple, consiste à comparer le P&L officiel du desk à celui généré par les modèles de risque internes. L’objectif est de vérifier que les prévisions du modèle sont cohérentes avec les résultats observés, garantissant ainsi que tous les facteurs de risque significatifs sont correctement pris en compte.
Cette exigence a indéniablement tiré les banques vers le haut, les incitant à renforcer la précision de leurs modèles et la richesse des facteurs intégrés, tout en réduisant les simplifications excessives. Cependant, le test présente un effet pervers : les desks les mieux couverts peuvent échouer non pas en raison de faiblesses dans leur gestion du risque, mais parce que les écarts de P&L proviennent de facteurs résiduels difficiles à modéliser. Un échec au PLAT remet alors en cause l’accès à l’AIMA, pénalisant ainsi les équipes les plus prudentes.
À cela s’ajoute le suivi des exceptions de backtesting, qui consiste à comparer la VaR aux P&L réalisés et hypothétiques sur une période d’un an. Un nombre excessif d’exceptions peut entraîner de sévères sanctions en termes de capital, allant de l’application d’un multiplicateur pénalisant jusqu’au retrait pur et simple de l’autorisation d’utiliser l’AIMA.
Enfin, pour les personnes les plus familières avec le texte réglementaire, l’article 325bc(2)(a) du CRR2 illustre bien toute la complexité des critères d’éligibilité. Ce texte introduit un ratio de performance (proche, dans l’esprit, du PLAT mais centré sur l’Expected Shortfall) qui vise à assurer un suivi continu de la qualité des modèles. La règle est stricte : la moyenne mobile sur soixante jours du ratio PES(RC)/PES(FC) doit rester supérieure à 75 %. En cas de dépassement, le desk concerné risque de perdre l’accès au modèle interne. Cette exigence, aussi technique qu’inflexible, reflète l’instabilité réglementaire à laquelle les établissements doivent s’adapter, dans un environnement où les critères de conformité deviennent toujours plus nombreux et complexes.
Le processus d’éligibilité repose sur des critères à la fois quantitatifs et qualitatifs exigeants, et implique des efforts considérables en matière de gouvernance, de documentation et de solidité des modèles. En pratique, seules quelques desks de trading, rigoureusement sélectionnés, seront autorisés à adopter l’AIMA dans un premier temps.
Mais cette sélection minutieuse pose un problème structurel : si le nombre de desks éligibles reste trop limité, les effets de diversification au sein du périmètre modélisé demeureront marginaux. Or, cette diversification est essentielle pour compenser les positions et réduire les exigences de fonds propres. En conséquence, les bénéfices attendus de l’approche AIMA, notamment en matière d’optimisation du capital réglementaire, pourraient s’avérer bien moindres que prévu.
Un cadre exigeant pour des bénéfices limités
Le nombre restreint de desks potentiellement éligibles à l’AIMA, combiné à la possibilité que cette autorisation soit révoquée à tout moment en cas de non-conformité aux exigences réglementaires, contribue à rendre tout projet d’investissement dans cette approche incertain et risqué.
Mais même pour les desks ayant franchi ce premier obstacle, d’autres difficultés subsistent, pouvant sérieusement limiter la valeur opérationnelle de l’approche.
Parmi ces obstacles, le traitement des facteurs de risque non modélisables (NMRF) constitue un point particulièrement sensible. En effet, les règles définies par le régulateur pour qu’un facteur de risque soit reconnu comme « modélisable » sont à la fois strictes et exigeantes. Pour qu’un facteur soit éligible, il doit pouvoir être observé de manière régulière sur les marchés, c’est-à-dire faire l’objet d’un certain nombre de prix observables sur une période donnée, et chaque observation ne peut être utilisée que pour un seul facteur à la fois. Cela complique considérablement l’exercice pour certaines classes d’actifs ou pour des maturités spécifiques peu liquides.
Lorsqu’un facteur de risque est classé comme non modélisable (NMRF), il est exclu du calcul de l’Expected Shortfall, et doit alors faire l’objet d’un Stress Test spécifique, souvent très conservateur. Ce traitement, potentiellement très pénalisant en termes de charges en capital, peut annuler une part importante des gains théoriques attendus du passage à l’AIMA.
Au-delà de la question des NMRF, d’autres éléments viennent encore réduire l’attractivité de l’approche AIMA.
Premièrement, sa mise en œuvre s’accompagne d’obligations de reporting réglementaire particulièrement lourdes. Les exigences COREP imposent un niveau de granularité particulièrement élevé, une distinction entre facteurs de risque modélisés et non modélisés, ainsi qu’un suivi dans le temps de plusieurs indicateurs clés. Produire ces reportings nécessite des chaînes de calcul robustes, une gouvernance des données rigoureuse, et une coordination étroite entre les équipes RISK, FINANCE et IT. Pour de nombreuses institutions, cela représente une charge opérationnelle et technologique significative.
A cela s’ajoute le fait que les bénéfices potentiels, en capital sont de plus en plus contraints par l’Output Floor introduit dans le cadre de la finalisation de Bâle III. Ce plancher, fixé à 72,5 % du total des RWA calculés selon les approches standardisées, s’applique à l’ensemble des risques - crédit, marché et opérationnel. En conséquence, la capacité des modèles internes à générer des économies de capital est structurellement limitée, quel que soit leur niveau de précision par rapport aux méthodologies standard.
Ces contraintes combinées - potentiel de réduction du capital limité, exigences opérationnelles élevées, et sensibilité au traitement des NMRF - expliquent pourquoi, selon les retours du terrain et les dernières enquêtes, un nombre croissant de banques indiquent ne plus envisager l’AIMA. Beaucoup disent aujourd’hui préférer se concentrer sur une bonne mise en conformité avec l’approche standard ASA, jugée moins coûteuse et plus facilement industrialisable.
Et si la BCE assouplissait les règles ?
Le report de l’application de l’AIMA est interprété par certains acteurs du secteur comme le signe d’une évolution progressive de la position des régulateurs européens, désormais davantage enclins à entendre les contraintes opérationnelles exprimées par les établissements bancaires. Cette inflexion, encore discrète, témoigne néanmoins d’une volonté croissante des autorités de supervision d’engager un dialogue plus constructif avec les acteurs de la place, dans le but de garantir une mise en œuvre effective et équilibrée du cadre FRTB.
Les discussions actuellement menées laissent entrevoir la possibilité d’un assouplissement mesuré des exigences encadrant le recours au modèle interne. Celui-ci pourrait prendre la forme, d’une part, d’une interprétation plus souple et pragmatique de certains critères techniques, et d’autre part, de l’octroi de délais de mise en conformité étendus, permettant une montée en puissance progressive des dispositifs. Par ailleurs, une rationalisation des processus de validation, aujourd’hui jugés particulièrement lourds et incertains, ainsi qu’une simplification des exigences de reporting, notamment à travers un allègement des templates COREP dédiés au FRTB constitueraient des leviers supplémentaires pour favoriser une adoption plus large de l’approche.
Une telle évolution du cadre réglementaire, si elle venait à se confirmer, pourrait marquer un tournant significatif. En réduisant le déséquilibre entre le niveau d’exigence attendu et les bénéfices prudentiels escomptés, elle offrirait aux établissements une incitation tangible à reconsidérer l’option du modèle interne, jusque-là largement écartée. Dès lors, l’AIMA pourrait retrouver une place plus centrale dans les stratégies de gestion du risque de marché en Europe.
Le paysage réglementaire du FRTB est en pleine mutation. Si l’approche standard s’est imposée comme la norme par défaut en Europe, le report de l’AIMA et l’ouverture récente du dialogue entre les banques et les autorités pourraient modifier la trajectoire actuelle.
Dans ce contexte, Capco est pleinement mobilisé pour accompagner les établissements bancaires dans leurs réflexions stratégiques et leurs démarches d’implémentation, qu’il s’agisse du modèle interne ou de l’approche standard. Grâce à notre expertise en FRTB et notre expérience terrain auprès de nombreux acteurs, nous aidons les banques à naviguer dans un environnement complexe en constante évolution.