NEUROSCIENCES COGNITIVES : UNE NOUVELLE PERSPECTIVE SUR LA CONDUITE DU CHANGEMENT

NEUROSCIENCES COGNITIVES : UNE NOUVELLE PERSPECTIVE SUR LA CONDUITE DU CHANGEMENT

  • Gaelle Laboureur
  • Published: 30 May 2022

 

Changer ses modes de travail n’a rien de simple. Sans en avoir conscience, nous préférerons naturellement maintenir la situation au statu quo, la nouveauté pouvant être associée à un facteur de risque ou à un investissement de temps inutile. L’étude des neurosciences cognitives permet de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau humain et ainsi de mieux accompagner la transformation des modes de travail. Voici 8 clés tirées de mes 1ers enseignements sur le sujet, organisées autour des 4 leviers du changement : le sens, les mécanismes formels, la formation et le « rôle model ».


En tant que consultante en Efficacité Opérationnelle et Conduite du Changement, j’accompagne depuis 10 ans des organisations dans le déploiement de méthodes de travail efficaces, basées sur les méthodologies Lean, Agile, Holacratie et Management 3.0, avec un double objectif : plus de performance pour l’entreprise et davantage de bien-être pour les collaborateurs. Cela se traduit par la mise en place de nouveaux modes de travail au sein des équipes et par l’adoption d’un état d’esprit commun à toute l’organisation autour de valeurs telles que le sens du client, l’empathie, l’intelligence collective, l’expérimentation et l’amélioration continue.


Pour que cet état d’esprit et les nouveaux comportements associés s’intègrent rapidement et de façon durable dans l’ADN de l’organisation, il est essentiel d’anticiper les freins naturels au changement et d’identifier les leviers de motivation des collaborateurs. L’étude des neurosciences permet de mieux comprendre les mécanismes neurocognitifs et affectifs qui sous-tendent le comportement humain. Elle invite à aborder l’accompagnement au changement non pas comme une méthodologie mais comme un double processus de gestion des émotions et d’apprentissage.


Voici 8 clés tirées de mes 1ers enseignements sur le sujet, organisées autour des 4 leviers du changement : le sens, les mécanismes formels, la formation et le rôle model.

Le sens


Clé #1 : Utiliser la mémoire du futur pour créer une image mentale positive du résultat à atteindre
L’être humain est un être de sens. Tant qu’il ne répond pas au « pourquoi ? », il n’avance pas. Lorsque nous voulons changer de cap, il faut nourrir notre cerveau d’éléments afin de se projeter sur une vision positive qui ait du sens. Pour cela nous allons stimuler notre mémoire prospective, la mémoire du futur, celle liée à notre capacité de projection. La mémoire est notre capacité à se rappeler des expériences passées. La plasticité cérébrale permet la mémorisation du vécu qui s’exprime par la création de nouveaux réseaux neuronaux. La mémoire du futur présente la particularité d’utiliser les mêmes réseaux neuronaux que celles du passé. Réaliser un travail de projection avec une « change story », fondé sur le pourquoi, pour quand, et des éléments de réussite (bénéfices, résultats clés à atteindre) est indispensable pour stimuler efficacement le cerveau et engager les collaborateurs dans une transformation.


Clé #2 : Appliquer le modèle SCARF* pour établir un climat relationnel favorable au changement
Que ce soit en situation de survie ou dans le monde du travail, les deux réponses fondamentales que le cerveau émet devant une situation nouvelle sont soit le renforcement (l’engagement) soit l’évitement (le désengagement). L’engagement stimule le circuit neuronal de la récompense ce qui améliore la capacité émotionnelle, cognitive et la concentration des individus. A l’inverse, le désengagement, provoque une stimulation des circuits défensifs en réaction à un signal de menace, générant du stress et limitant la capacité d’adaptation. Selon le modèle SCARF élaboré par David Rock, 5 facteurs seraient les déclencheurs émotionnels de ces 2 types de réponses neurologiques : le statut, le besoin de certitude ou de sécurité, l’autonomie, l’appartenance à un groupe et le sentiment d’équité. Plus ces besoins sont comblés, plus on assiste à un haut niveau de confiance et de collaboration. Ecouter les collaborateurs, comprendre leurs besoins émotionnels et tenir compte de leurs préoccupations face au changement facilitent le passage d’un mode d’évitement à un mode d’engagement.

Les mécanismes formels


Clé #3 : Agir sur les biais cognitifs avec le nudge et la gamification
Le changement des modes de travail s’accompagne par une évolution des mécanismes formels (nouvelle structure organisationnelle, nouveaux rôles, processus ou outils) nécessaires à l’ancrage des nouveaux comportements. Même si l’envie de changement est présente, l’être humain a tendance à préférer que les choses restent à l'identique ou qu'elles évoluent le moins possible. Ceci est dû au biais de statu quo, un biais émotionnel qui nous pousse de prime abord à considérer le changement comme un risque ou une perte. En associant la nouveauté au jeu, le nudge (« coup de pouce ») et la gamification peuvent être combinés à la mise en place des nouveaux mécanismes formels pour influencer positivement les biais cognitifs et aider les collaborateurs à passer plus facilement de l’intention à l’action.


Clé #4 : Stimuler le passage à l’action par des objectifs et du feedback social positif
Les neurosciences définissent la motivation comme un processus permettant aux récompenses désirées d’activer et d’orienter le comportement. En effet, les neurones émettent plus de dopamine (hormone du plaisir) pour un stimulus qui prédit l'arrivée d'une récompense et moins quand le stimulus est associé à une absence de récompense. Les recherches en neurosciences motivationnelles nous indiquent que la fixation d’objectifs clairs et la pratique régulière du feedback social positif sont les premiers leviers de motivation des collaborateurs. Le feedback social positif qui allie verbal et signaux émotionnels (sourire, hochements de tête,…), trouve son juste équilibre en donnant 3 forces pour 1 axe d’amélioration et se termine par la co-définition d’un plan d’action (2 ou 3 actions maximum). Communiquer des objectifs SMART** et pratiquer régulièrement le feedback social positif permet aux collaborateurs de bénéficier de retours réguliers et explicites sur leurs comportements et motive le passage à l’action.
 

La formation


Clé #5 : Faciliter la présence et la concentration avec la règle des 10 minutes
Un apprentissage a lieu lorsqu’un réseau neuronal est créé. Mais pour que cela soit possible, il est primordial de capter l’attention des apprenants. Lorsqu’une formation débute, l’attention monte pendant les premières minutes pour atteindre un sommet vers la 10ème minute. Si rien de particulier ne se passe ni à ce moment-là ni par la suite, l’attention et la concentration retombent progressivement jusqu’à quelques minutes avant la conclusion. C’est pour cela que l’on se souvient souvent davantage de ce qu’on a appris au début et à la fin d’une session. Pour faire sauter la barrière des 10 minutes, différents stimulus émotionnels peuvent être utilisés tels que raconter une anecdote en lien avec le contenu, proposer un jeu ou encore utiliser la synthèse et la reformulation régulière (ce que l’on va voir - ce que l’on a vu). Favoriser des sessions de formations courtes en les rythmant sur des modules de 10 minutes entrecoupés de stimulus émotionnels facilite la concentration et l’assimilation des nouvelles connaissances.


Clé #6 : Mettre en pratique pendant 21 jours pour programmer la mémoire procédurale
La mise en pratique régulière et la répétition sont aussi importantes que l’attention et l’effort mental de mémorisation. Tant qu’une information n’est pas éprouvée, elle est seulement de passage dans notre mémoire temporaire. La répétition de connaissances nouvellement acquises va fortifier les connexions neuronales et permettre de stocker les nouveaux comportements de manière permanente dans la mémoire long-terme, la mémoire procédurale. C’est à ce moment-là seulement que les nouveaux modes de travail deviendront des automatismes ! Pour intégrer une nouvelle routine, notre cerveau a besoin de 21 jours de mise en pratique et de répétition. Favoriser la mise en pratique immédiate et accompagner les collaborateurs dans le déploiement des nouveaux modes de travail sur une période d’au moins 21 jours permet d’ancrer les nouveaux comportements dans la durée.

Le « role model »


Clé #7 : Stimuler les neurones miroirs de ses collègues en adoptant un comportement exemplaire
Lorsque l’on observe quelqu’un faire quelque chose, le cerveau va activer certains neurones du cerveau ou “neurones miroirs” qui vont générer une contagion émotionnelle. Sollicités positivement, ces neurones génèrent l’envie de changer. Une personnalité souriante ou enthousiaste qui va incarner un nouveau comportement va inconsciemment inspirer les individus qui l’entourent et créer des dispositions neuronales liées à cet état. Les dirigeants, les managers et les ambassadeurs du changement doivent se positionner comme des « role models » pour les autres collaborateurs, des guides qui facilitent et montrent la marche à suivre. Accompagner le management et les ambassadeurs des nouveaux modes de travail pour qu’ils adoptent la bonne posture physique et émotionnelle face au changement (« walk the talk ») est essentiel. En effet, cela permet de développer et maintenir l’adhésion de l’ensemble de l’organisation dans la transformation.


Clé #8 : Cultiver le management positif pour booster l’épanouissement des collaborateurs
Le management positif est un état d’esprit qui consiste à motiver et à mobiliser ses collaborateurs pour atteindre les objectifs de l’entreprise mais aussi à les aider à garder un esprit positif quelles que soient les circonstances. Un cerveau positif est plus à même de saisir les opportunités et de surmonter les obstacles. Avoir un management positif implique d’en tenir compte pour garantir un bon climat de travail propice à la réflexion, à l’autonomie et à la créativité. Afin d’aiguiller les collaborateurs dans la bonne direction, les objectifs doivent être associé à des futurs succès et chaque petite victoire du quotidien doit être reconnue et félicitée. Adopter le management positif, en communiquant positivement et en voyant le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide créera une impulsion et une dynamique de changement bienveillante au sein de l’organisation.

Conclusion


Accompagner la mise en place de nouveaux modes de travail au sein des équipes repose souvent sur une logique « de bon sens dans un cadre » inspiré des expériences passées et des meilleures pratiques du marché. L’étude des neurosciences permet de comprendre plus finement les mécanismes du cerveau humain et apporte un nouveau regard sur la conduite du changement et ses outils en alliant sciences et bon sens pour toujours plus de performance et de bien-être au travail !